Le Pluton

 Commandant Cosmao Kerjulien.


Vaisseau de 2e rang de 74 canons, de la classe du Témeraire, construit par Maillet, lancé à Toulon en 1805, 56 mètres de long 773 hommes, 28 canons de 36 livres, 30 canons de 24, 16 canons de 8 et 4 caronades de 18 livres.

 

 

A Trafalgar, le Pluton de Cosmao fait partie de l'escadre d'observation dirigée par l'amiral espagnol Gravina. Matelot arrière du Fougueux, il va se retrouver face à la ligne anglaise  sous le vent conduite par le Royal Sovereign.  Cosmao a indiqué à l'amiral Magon qui le suit à bord de l'Algésiras son intention de s'opposer par tous les moyens à un franchissement de la ligne devant lui.Il manœuvre constamment pour empêcher cette ligne d'être coupée, et pour soutenir les vaisseaux voisins du sien, qu'il voit trop pressés par l'ennemi. Lors de l'attaque de Collingwood, le Pluton ouvre le feu sur le Royal Sovereign, puis constatant que le Monarcaest en panne, il serre le vent pour s'opposer à la tentative du Mars, troisième vaisseau de Collingwood, de s'infiltrer dans le dispositif allié et le combat de très près et avec avantage pendant une demi-heure, tentant de le prendre à l'abordage après l'avoir endommagé de ses bordées. L'arrivée du Tonnant sur son arrière le force à virer.

Serrant toujours le vent, le Pluton engage alors le Belle-Isle déjà endommagé par les tirs du Fougueux. Là encore, l'arrivée du Polyphemus le force à dégager. Il porte alors aide au Principe de Asturias de l'amiral espagnol Gravina, encerclé par les Anglais, parvenant même à le dégager, puis exécute à 17 heures 30 le signal de ralliement général et absolu hissé à bord du Principe de Asturias de Gravina

Cosmao  décrit l'état de son vaisseau à la fin du combat « Ma 2ème batterie était complètement encombrée d'éclats, neuf pièces démontées, plusieurs avaient leurs bragues coupées et j'avais fait descendre pour débarrasser la batterie le peu d'hommes qui me restaient sur la dunette et les gaillards. Le vaisseau faisait deux pieds et demi d'eau bâbord armures et ne pouvait étancher sur l'autre bord, le gréement et la voilure ne tenant plus; j'avais enfin 280 hommes, tant tués que blessés.» (Extrait de Trafalgar de Rémi Monaque.)

►Les pertes officielles sont de 60 tués et 32 blessés.

La bataille perdue, à la nuit tombante, 11 vaisseaux, 5 Français (le Pluton, le Héros, le Neptune, l'Indomptable et l'Argonaute) et 6 Espagnols, se traînent vers Cadix sous les ordres de l'amiral Gravina mortellement blessé.

► Le 23 octobre 1805, l'amiral Gravina lui ayant transmis le commandement des navires mouillés à Rota, et la flotte anglaise ayant été aperçue à l'horizon, Cosmao décide d'en profiter. En une demi-journée il fait réparer le gréement du Pluton et et se porte à la rencontre des vaisseaux anglais avec une division de trois vaisseaux français: le Plutonle Neptune et le Héros et de deux espagnols : le Rayo et le San Francisco de Asis, cinq frégates et trois corvettes. La brise est favorable. Les navires alliés ne tardent pas à approcher la flotte britannique. Cosmao leur enlève la Santa Anna, montée par l'amiral Alava, et le Neptuno qui sont ramenés à Rota par les frégates françaises. Apercevant au loin des navires, il fait rentrer sa division dont l'état ne lui permet pas de risquer un nouveau combat. Au retour vers Cadix, le Rayo s’échoue à Arenas Gordas, et est brûlé par les anglais;  le Neptuno s’abîme sur la côte de Puerto de Santa María.

Cette brillante et courageuse action vaut à Cosmao, en plus du titre de Grand d'Espagne, sa nomination comme contre-amiral le 29 mai 1806. Il prend alors le commandement d'une division de l'escadre de Méditerranée.

Quand au Pluton, réfugié à Cadix en très mauvais état, il y resta jusqu'à l'insurrection espagnole de 1808 où il fut incorporé dans la flotte espagnole sous nom de Montanes et détruit en 1814 au Féréol.

 

 

Le Duguay Trouin

 

Capitaine C. Touffet

 

 

 

 

 

Vaisseau de 2e rang de 74 canons, lancé à Rochefort en 1800, d'après les plans de l'ingénieur Rolland, 28 canons de 36 livres, 30 canons de 18, 16 de 8, et 4 caronades de 36.

 

  

Il est l’un des navires de l’avant-garde sous le commandement du  Vice Amiral Pierre Dumanoir le Pelley. Ses pertes sont alors de 12 tués et de 24 blessés. Le navire n'est que faiblement endommagé. Ce jour là il s'échappe, mais comme le Formidable il sera capturé quelques jours plus tard.

►Le 3 novembre en effet, l'escadron de quatre vaisseaux est chassé par une escadre anglaise au Cap Ortegal. Le commandant du  Duguay Trouin est tué, 150 hommes mis hors de combat.

  

Le Duguay-Trouin démât est capturé par Sir Richard Strachan.

 Son histoire va ensuite devenir un peu particulière.

Intégré à la Royal Navy et rebaptisé HMS Implacable il combattra en mer Baltique en 1808-1809 et sur la cote Syrienne en 1840.

 

Il est décommissionné en 1844 à Devonport et devient navire d’entraînement en 1855. En 1932 Le navire est remorqué à Portsmouth où il sert de nouveau à la formation des jeunes recrues. En 1947 jugeant son entretien trop coûteux, l'Angleterre propose de céder le navire à la France qui décline l'offre.

         

L'Implacable est remorqué à l'est de l'île de Wright au large du bateau feu des Owers. Après 149 ans de bons et loyaux services il sera coulé à l'aplomb de la fosse de Sainte Catherine le 2 décembre 1949.

 

Seuls vestiges parvenus jusqu'à nos jours : Le cabestan, qui est exposé au musée maritime de Rochefort,

 

et le couronnement ainsi que la figure de proue que l'on peut aujourd'hui admirer au musée maritime de Greenwich dans la banlieue de Londres.

 

Le Redoutable

Capitaine J Lucas

 

 

Vaisseau de 2e rang de 74 canons, conçu en 1789 d’après les plans de Sané, lancé à Lorient en 1791 sous le nom de Suffren, rebaptisé le Redoutable en 1794, 52 mètres de long, 13 mètres de large, 6.7 mètres de tirant d'eau, 1630 tons de déplacement, équipage 643 hommes, 28 canons de 36 livres, 30 de 18, 16 de 8, 4 caronades de 36.

A Trafalgar, c’est de la hune de son mat d’artimon, que partit la balle qui devait tuer Nelson. Le Redoutable se tenait juste derrière le Bucentaure, navire Amiral de la flotte combinée, et c’est lui qui reçoit le choc du Victory. Le Victory cherche à tout prix à couper la ligne de bataille en passant sur la poupe de Bucentaure. Le Redoutable ne pourra l'en empêcher complètement, mais il est là et tire sur le Victory et lui coupe la vergue du petit Hunier, puis son mat d’artimon, son mat de hune et son grand mat de perroquet. Le Victory finit par aborder le Redoutable à bâbord. Le gréement des deux navires s’emmêlent dans une étreinte mortelle.

 

Rapport du capitaine de vaisseau Jean-Jacques-Etienne Lucas

 Le rapport ci-dessous fut écrit par Lucas juste après la bataille, dans le cadre de son rapport général au ministre de la marine, Decrès.

(Version publiée dans la Revue Maritime de janvier 1901, page 58)

Rapport fait à Son Excellence le ministre de la Marine et des Colonies, par M. Lucas, capitaine de vaisseau, officier de la Légion d'honneur, sur le combat naval de Trafalgar, entre l'armée combinée de France et d'Espagne, sous les ordres des amiraux Villeneuve et Gravina, et l'armée anglaise commandée par l'amiral Nelson, et particulièrement sur le combat du vaisseau le Victory, de cent dix canons, monté par l'amiral Nelson, le Téméraire, de la même force, et un autre vaisseau à deux batteries, contre le Redoutable dont S. M. m'avait confié le commandement.

"Le Premier Consul, citoyen Préfet, ayant fait choix du capitaine de vaisseau Lucas pour commander le vaisseau le Redoutable, au Ferrol, je vous prie de donner à cet officier l'ordre de se rendre sur-le-champ à sa nouvelle destination et de lui faire payer ses frais de route. J'adresse sa lettre de commandement au contre-amiral Bedout, qui la lui remettra à son arrivée."
(Le ministre de la Marine Decrès, au préfet maritime de Brest - 4 novembre 1803 - Archives de Brest)


Quoique la perte du vaisseau le Redoutable fasse partie de la défaite qu'a éprouvée l'armée combinée de France et d'Espagne et de la sanglante affaire de Trafalgar, le combat particulier de ce vaisseau n'en mérite pas moins, je pense, une place distinguée dans les annales de la marine française.

Je dois à la mémoire des braves qui ont péri dans ce terrible combat ou qui ont été ensevelis dans les débris du Redoutable lorsqu'il a coulé à fond, je dois à la gloire du petit nombre qui a échappé à cet inexprimable carnage, de mettre sous les yeux de Votre Excellence, le tableau de leurs exploits, les efforts de leur valeur et surtout l'expression de leur amour et de leur attachement pour Sa Majesté, dont le nom, répété mille fois avec le plus vif enthousiasme, semblait les rendre invincibles.

Rien ne peut égaler l'ardeur de ces héros lorsque je leur annonçai que nous allions aborder l'amiral anglais ; jamais l'intrépide Nelson ne pouvait succomber sous des ennemis plus dignes de son courage et de sa grande réputation, je n'entreprendrai pas par ce rapport de faire connaître le mouvement des deux armées pendant toute l'action; je ne distinguais qu'à peine et par intervalle les vaisseaux qui m'avoisinaient. Je ne pense citer que les manœuvres qui ont précédé l'engagement et une partie de celles qui ont terminé cette malheureuse affaire : mais j'entrerai dans tous les détails et circonstances de combat du vaisseau le Redoutable avec le vaisseau le Victory et le Téméraire de cent dix canons et un autre vaisseau à deux batteries dont j'ignore précisément la force et le nom.

Le 20 vendémiaire an XIV, l'armée combinée mit à la voile de la baie de Cadix avec un vent S., d'abord faible, ensuite joli frais. Elle était composée de trente-trois vaisseaux, dont dix-huit français et quinze espagnols, de cinq frégates et de deux bricks français; à peine fut-elle dehors que les vents devinrent S.-O. très frais par grains. L'amiral fit prendre des ris, plusieurs vaisseaux espagnols furent très lents dans cette opération ce qui les fit tomber beaucoup sous le vent.

Lorsqu'on eut achevé, l'armée fut sans ordres, les amures à bâbord, le vaisseau le Redoutable était dans les eaux du Bucentaure (vaisseau amiral) à petite distance, lorsque vers midi l'amiral signala un homme tombé à la mer, je mis sur-le-champ en panne et un canot à la mer qui le sauva. J'en fis de suite le signal et peu de temps après je repris mon poste.

A une heure après-midi, le vent ayant passé à l'O., l'amiral fit signal de virer de bord tous à la fois. L'évolution terminée, il signala l'ordre de marche sur trois colonnes les amures à tribord, il prévint qu'il allait passer au centre de la sienne.

Le Redoutable comme chef de file de la 1e escadre dut prendre la tête de la colonne du centre : je manœuvrai en conséquence.

Toute l'après-midi se passa sans qu'on fût parvenu à former cet ordre quoique l'amiral signalât à plusieurs vaisseaux de prendre leur poste, à sept heures du soir le vent était beaucoup moins fort, mais la mer un peu houleuse de l'O. ; l'armée gouvernait au S.-S.-O. , je signalais à l'amiral que j'apercevais une escadre ou une flotte ennemie au vent, elle ne paraissait pas très éloignée, les bâtiments de cette escadre faisaient une grande quantité de signaux remarquables par la beauté et l'éclat des feux colorés qu'ils employaient.

Vers les neuf heures du soir l'amiral signala de former l'ordre de bataille sans avoir égard aux postes. Pour exécuter ce mouvement, les bâtiments les plus sous le vent devaient mettre un feu à chaque mât pour marquer leur position, j'ignore si cette précaution fut prise mais il fut impossible de les apercevoir, l'armée étant très dispersée. Les vaisseaux de la ligne de bataille et ceux de l'escadre d'observation se trouvaient confondus. Tous les bâtiments ayant répété les signaux, il ne fut plus possible de reconnaître l'amiral, je suivis alors le mouvement de plusieurs autres qui arrivèrent pour rallier ceux qui étaient sous le vent.

Vers les onze heures du soir, je me trouvai près de l'amiral Gravina qui, avec cinq ou six vaisseaux, commençait à former une ligne de bataille. Après avoir demandé le nom du Redoutable il m'ordonna de prendre poste dans cette ligne, je le priai de me laisser prendre la tête, il me le permit, je m'y plaçai aussitôt. Les vents étaient toujours de la même partie, nous avions les amures tribord. Tous les vaisseaux étaient en branle-bas, l'amiral en avait donné l'ordre immédiatement après l'appareillage. Tout était parfaitement disposé à bord du Redoutable et comme j'avais la certitude d'un engagement pour le lendemain, je fis coucher la plus grande partie des officiers et de l'équipage pour les avoir plus dispos.

Quelques jours avant notre départ de Cadix, chaque commandant avait reçu de l'amiral un ordre par écrit de mettre à la voile. Ce même ordre rappelait aux capitaines une lettre circulaire qui leur fut adressée à notre départ de Toulon et qui ferait connaître ses intentions en cas de rencontre de l'ennemi et la conduite que dans ce cas chaque vaisseau devait tenir. Il semblait dès lors que l'amiral avait prévu la manière dont nous serions attaqués, et si ses dispositions avaient été généralement suivies, vingt ou vingt-deux vaisseaux de l'armée combinée n'auraient pas eu à combattre toute l'armée anglaise forte de vingt-sept vaisseaux dont sept à trois ponts, et n'auraient pas succombé malgré des prodiges de valeur et la résistance la plus opiniâtre.

Le 21, au point du jour, on aperçut l'ennemi au vent, c'est-à-dire à l'O.-S.-O., il ventait peu et la mer était toujours houleuse, l'armée combinée était répandue à peu près O.-N.-O., ses vaisseaux étaient très dispersés et ne formaient qu'une ligne apparente, l'ennemi était aussi sans ordre, mais manœuvrait pour se rallier, sa force fut alors bien reconnue et on distinguait vingt-sept vaisseaux dont sept à trois ponts, quatre frégates et une goélette.

Vers les sept heures du matin, l'amiral signala de former la ligne de bataille dans l'ordre naturel, les amures à tribord : j'abandonnai alors la position que j'avais occupée une partie de la nuit et je virai de bord pour aller prendre celle qui m'était assignée dans la ligne de bataille, j'en étais fort éloigné, cependant à huit heures je parvins à prendre mon poste, à neuf heures l'ennemi se forma en deux pelotons, se couvrit de voiles , même de ses bonnettes et laissa arriver sur notre armée avec une petite brise de l'O.S-O. L'amiral jugeant que l'ennemi voulait porter ses efforts sur notre arrière-garde fit virer l'armée lof pour lof à la fois. Dans ce nouvel ordre le Redoutable dut se trouver le troisième dans les eaux du Bucentaure (vaisseau amiral) je m'empressai en conséquence de me mettre derrière ce vaisseau laissant entre lui et moi l'espace nécessaire aux deux vaisseaux qui devaient me précéder.

L'un n'était pas très éloigné de son poste et l'autre ne manœuvrait pas pour prendre le sien et se trouvait de beaucoup sous le vent de la ligne qui commençait à se former en avant de l'amiral. Vers les onze heures du matin les deux pelotons de l'armée ennemie approchaient de notre armée, précédés l'un du vaisseau à trois ponts, le Royal Souverain, monté par le vice-amiral Collingwood, l'autre par le Victory de la même force, monté par l'amiral Nelson, et le Téméraire, aussi de cent dix canons, manœuvrait pour attaquer notre corps de bataille.

A onze heures un quart les vaisseaux de notre arrière-garde commencèrent à tirer sur le Royal Souverain. Ce vaisseau nous envoya de loin quelques coups de canon auxquels je ne voulus pas répondre, j'étais toujours dans les eaux de l'amiral français, mais il restait entre lui et moi une distance que ne fermaient pas les deux vaisseaux qui devaient me précéder : l'un était trop sous le vent pour prendre son poste et l'autre, que j'ai dit n'en être pas très éloigné, s'en était beaucoup écarté en arrivant pour tirer sur le Royal Souverain qui était à plus de demi-portée.

Le peloton conduit par l'amiral Nelson approchait de notre corps de bataille, les vaisseaux à trois ponts qui le précédaient manœuvraient ostensiblement pour envelopper le vaisseau amiral français ; l'un d'eux cherchait à lui passer en poupe. Aussitôt que j'eus reconnu cette intention, certain d'ailleurs que mes deux matelots ne pouvaient plus venir prendre leur poste, je fis mettre mon beaupré sur la poupe du Bucentaure, très décidé à sacrifier mon vaisseau pour la défense de l'amiral. Je fis part de cette intention à mes officiers et à l'équipage, qui répondirent par des cris répétés de « Vive l'amiral ! Vive le commandant! » accompagnés de tambours et fifres. Je fus à la tête de mes officiers parcourir les batteries, partout je trouvai des braves brûlant d'impatience de commencer le combat, plusieurs me dirent : « Commandant, n'oubliez pas l'abordage !»,

A onze heures l'armée ennemie arbora son pavillon. Celui du Redoutable le fut d'une manière imposante, les fifres et tambours battaient au drapeau, les mousquetaires présentaient les armes; il fit salué par l’état-major et l'équipage par set cris de !Vive l'Empereur !"

A 11 h 1/2 le peloton ennemi qui se dirigeait sur notre corps de bataille se trouve à portée: le vaisseau le Bucentaure et son matelot d'avant commencent le feu. Je fis monter sur le gaillard une grande partie des chefs de pièce, je leur fis remarquer combien nos vaisseaux tiraient mal, tous leurs coups portaient trop bas. Je les engageai à tirer à démâter et surtout à bien pointer.

A onze heures trois quarts, le Redoutable commença à tirer par un coup de canon de la 1e batterie qui coupa la vergue du petit hunier du vaisseau le Victory qui gouvernait sur le mât de misaine du Redoutable, alors des cris de joie retentirent dans toutes les batteries. Notre feu fut bien nourri; en moins de dix minutes le même vaisseau fut démâté de son mât d'artimon, de son petit mât de hune et de son grand mât de perroquet, je serrai toujours de si près le Bucentaure qu'on me cria plusieurs fois que j'osais l'aborder, effectivement, le beaupré du Redoutable toucha légèrement le couronnement de sa poupe, mais j'assurai qu'il n'y avait rien à craindre.

Les avaries du Victory ne changeaient rien à l'audacieuse manœuvre de l'amiral Nelson; il persistait toujours à vouloir couper la ligne en avant du Redoutable, enmenaçant de nous aborder si nous nous y opposions. La grande proximité de ce vaisseau suivi par le Téméraire, loin d'intimider notre équipage, ne fit qu'augmenter son courage et pour prouver à l'amiral anglais que nous ne redoutions pas son abordage, je fis hisser les grappins à toutes les vergues.

 

Enfin le vaisseau Victory, n'ayant pu parvenir à passer en poupe de l'amiral français, nous aborda de long en long, nous débordant de l'arrière de manière que notre dunette se trouvait par le travers, et à la hauteur de son gaillard d'arrière.

 

Dans cette position les grappins furent jetés à son bord, ceux de derrière furent coupés, mais ceux d'avant résistèrent, nos bordées furent déchargées à bout touchant. Il en résultat un carnage horrible. Nous continuâmes à nous canonner pendant quelque temps; nous parvenions avec les écouvillons à corde à charger quelques pièces, plusieurs furent tirées à longueur de brague ne pouvant les palanquer aux sabords qui étaient masqués par les flancs du Victory; et par les moyens de nos armes á feu, dans nos batteries,nous empêchions tellement l'ennemi de charger les siens, qu'il avait cessé de tirer sur nous.

Quel jour de gloire pour le Redoutable, s'il n'eût eu à combattre que le Victory ! Enfin, les batteries de ce vaisseau, ne pouvait plus nous riposter.

Je m'aperçus que l'équipage de ce vaisseau se disposait à venir à l'abordage : il se portait en foule sur les gaillards. Je fis sonner la trompette, signal reconnu dans nos exercices pour appeler les divisions d'abordage; elles montèrent avec un tel ordre, les officiers et aspirants à la tête de leurs compagnies, qu'on eut dit que ce n'était qu'un simulacre. En moins d'une minute nos gaillards furent couvert d'hommes armés qui se dispersèrent sur la dunette, sur les bastingages et dans les haubans; il me fut impossible de remarquer les plus braves.

Alors il s'engagea un vif combat vif de mousqueterie dans lequel l'amiral Nelson combattait à la tête de son équipage. Notre feu devint tellement supérieur à celui de l'ennemi, qu'en moins de quinze minutes nous fîmes taire celui du Victory : plus de deux cents grenades furent jetées à son bord avec le plus grand succès; ses gaillards furent jonchés de morts et de blessés.

L''amiral Nelson fut tué par le feu de notre mousqueterie; presque aussitôt, ses gaillards furent évacués et son vaisseau cessa absolument de nous combattre; mais il était difficile de passer à son bord à cause du mouvement des vaisseaux et de l'élévation de sa troisième batterie. J'ordonnai de couper les suspentes de la grande vergue et de l'amener pour servir de pont. L'aspirant Yon et quatre matelots, à l'aide de l'ancre du Victory, parvinrent à son bord et nous prévinrent qu'il n'y avait personne dans ses batteries, mais à l'instant où nos braves allaient se précipiter pour les suivre, le vaisseau à trois ponts le Téméraire, qui sans doute s'était aperçu que le Victory ne combattait plus et qu'il allait infailliblement être pris, vint à toutes voiles nous aborder à tribord et nous cribler à bord touchant du feu de toute son artillerie.

 

Il serait impossible d'exprimer le carnage que produisit la bordée de ce vaisseau : plus de 200 de nos braves en furent tués ou blessés; je fus aussi blessé á ce même instant, mais pas assez grièvement pour me faire abandonner mon poste. Ne pouvant plus alors rien entreprendre contre le Victory, j'ordonnai au reste de l'équipage de se porter promptement dans les batteries et de décharger sur le Téméraire les canons de tribord qui n'avaient pas été démontés par l'abordage de ce vaisseau. Cet ordre fut exécuté, mais nous étions tellement affaiblis et il nous restait si peu de pièces en état de servir que le Téméraire nous ripostait avec beaucoup d'avantage.

 

Peu de temps après, un autre vaisseau à deux batteries dont j'ignore précisément la force, vint se Placer en poupe du Redoutable et nous canonner à portée de pistolet. En moins d'une demi-heure notre vaisseau fut tellement criblé qu'il ne présentait plus qu'un monceau de débris : dans cet état le Téméraire nous héla de nous rendre et de ne pas prolonger une résistance inutile. J'ordonnai à quelques soldats qui étaient près de moi de répondre à cette sommation par des coups de fusils, ce qui fut exécuté avec le plus grand empressement.

 

A peu près dans le même instant notre grand mât tomba en travers sur le vaisseau anglais le Téméraire : les deux mâts de hune de ce vaisseau tombèrent à bord du Redoutable; toute la poupe fut défoncée, la mèche du gouvernail, la barre, les deux tamisailles, l'étambot, les barres d'arcasse et d'hourdi, les jambettes de voûte, furent mises en lambeaux; les ponts étaient tout percés par les boulets du Téméraire et du Victory; toute l'artillerie fut brisée ou démontée par les boulets ou les abordages de ces deux vaisseaux. Un canon de 18 de la 2e batterie et une caronade de 36 du gaillard d'avant ayant crevé nous tuèrent et blessèrent beaucoup de monde. Les deux côtés du vaisseau, tous les mantelets de sabord et les barrots étaient entièrement hachés; quatre de nos six pompes étaient brisées ainsi que toutes nos échelles, en sorte que les communications entre les batteries et les gaillards étaient devenues extrêmement difficiles.

 

Trafalgar par Louis-Philippe Crepin ( château de Blois)

Tous nos ponts étaient couverts de morts ensevelis sous les débris et les éclats des différentes parties du vaisseau. Une grande quantité des blessés furent tués dans le faux-pont. Sur 645 hommes d'équipage, nous en avions 522 hors de combat, dont 300 de tués et 222 blessés, parmi lesquels se trouvait la presque totalité de l'état-major. Sur les 121 qui restaient, une grande partie était employée au passage des poudres dans le faux-pont et dans la cale à eau, de sorte que les gaillards et les batteries étaient absolument déserts, et que nous ne pouvions plus, par conséquent, apporter aucune résistance.

Quiconque n'a pas vu dans cet état le vaisseau le Redoutable ne pourra jamais se former une idée de son désastre; je ne connais rien à bord qui n'ait été coupé par les boulets. Au milieu de cet horrible carnage les braves qui n'avaient pas encore succombé et ceux blessés dont le faux-pont était encombré s'écriaient encore : « Vive l'Empereur ! Nous ne sommes pas encore pris : le commandant existe-t-il encore ? » Dans cet état, le feu prit à la braye de notre gouvernail, ce qui heureusement n'eut point de suite; on parvint à l'éteindre.

Le vaisseau le Victory ne combattait point : il s'occupait seulement à se dégager du Redoutable, mais nous étions criblés par le feu du Téméraire avec lequel nous étions toujours abordés et du vaisseau qui nous canonnait en poupe. Ne pouvant nullement riposter et ne voyant aucun de nos vaisseaux venir à notre secours (ils étaient tous très éloignés sous le vent) je n'attendais plus pour me rendre que la certitude que les voies d'eau fussent assez considérables pour qu'il ne tardât pas à couler à fond.

A l'instant où l'on m'en donna l'assurance, j'ordonnai d'amener le pavillon; il vint en bas lui-même par la chute du mât d'artimon. Nous fûmes alors abandonnés du vaisseau qui nous canonnait en poupe. Mais le Téméraire continua encore à tirer sur nous pendant quelque temps et il ne cessa qu'à cause de la nécessité où il se trouva d'éteindre le feu qui prit à son bord. Il était environ 2 h 1/2 de l'après-midi.

  

Peu de temps après, les vaisseaux le Victory, le Redoutable et le Téméraire toujours fortement liés par les mâtures qui étaient tombées réciproquement d'un vaisseau sur l'autre , d'ailleurs tous trois privés de l'usage de leur gouvernail, formaient un groupe qui dérivait au gré du vent et fut involontairement jeté sur le vaisseau le Fougueux; celui-ci ayant combattu contre plusieurs vaisseaux ennemis qui l'avaient ensuite abandonné, n'avait point encore amené son pavillon. Ce vaisseau, entièrement dégréé, en partie démonté et ne gouvernant plus, s'aborda avec le vaisseau Téméraire, était hors d'état d'opposer une forte résistance. Néanmoins, le brave capitaine Baudouin voulu tenter de nouveau efforts, mais ayant été tué en cherchant encore à se défendre, et son second ayant été blessé presque au même instant, le vaisseau le Téméraire fit sauter à son bord quelques hommes de son équipage, qui s'emparèrent de ce vaisseau.

L'ennemi ne faisait aucun mouvement pour amariner le Redoutable, dont les voies d'eau étaient tellement considérables que je craignis qu'il ne coulât avant qu'on eût pu en retirer les blessés. Je représentai cette situation au vaisseau le Téméraire, en lui faisant observer que, s'il tardait davantage à faire passer des hommes de son équipage pour pomper et nous porter des secours urgents, il ne restait plus qu'à mettre le feu au Redoutable dont l'incendie entraînerait celui du Téméraire et du Victory.

Sur-le-champ deux officiers et quelques soldats et matelots du Téméraire vinrent à notre bord pour prendre possession du vaisseau; mais à l'instant où l'un des marins anglais mettait le pied dans le sabord de la seconde batterie du Redoutable, un de nos matelots, qui était déjà blessé d'une balle à la cuisse, se saisit d'un mousqueton armé d'une baïonnette et fondit sur lui avec fureur en disant : « Il faut encore que j'en tue un ! »; il lui passa la baïonnette dans la hanche et le fit tomber entre les deux vaisseaux. Malgré cet événement, je parvins à retenir à bord les Anglais qui voulaient repasser sur leur bord.

Vers les trois heures quelques vaisseaux de notre avant-garde qui tenaient le vent tribord amures pour s'éloigner du champ de bataille, sans cependant paraître dégréés, tirèrent de fort loin sur notre groupe quelques coups de canon; quelques-uns de leurs boulets tombèrent à bord du Redoutable et l'un des officiers anglais venus auprès de moi eut une cuisse emportée et ne tarda pas à mourir.

 

Sur les 3 h 1/2, le Victory se sépara du Redoutable, mais tellement délabré qu'il était hors d'état de combattre. Ce ne fut que vers les 7 heures du soir que l'On parvint à séparer le Redoutable du Téméraire, qui resta encore abordé avec le Fougueux. Nous ne fûmes point amarinés, mais le vaisseau anglais le Swiftsure vint nous prendre à la remorque. On fit jouer la nuit les deux pompes qui nous restaient, sans pouvoir cependant entretenir l'eau, quoique la mer fût belle. Le petit nombre de Français en état d'agir se joignit aux Anglais pour pomper, aveugler quelques voies d'eau, placarder les sabords, épontiller la poupe du vaisseau qui était prête à s'écrouler, enfin nul ne fut plus ardent au travail.

 

Au milieu de tous les travaux et de l'horrible désordre du vaisseau le Redoutable, qui flottait à peine, parmi les décombres et les morts dont les batteries étaient parsemées, je m'aperçus que quelques-uns de nos braves et particulièrement de nos jeunes aspirants dont plusieurs étaient blessés ramassaient des armes qu'ils cachaient dans le faux-pont, dans l'intention, disaient-ils, d'enlever le Redoutable. Jamais autant de traits d'intrépidité. de valeur et d'audace ne furent déployés à bord du même vaisseau et jamais l'histoire de la marine n'offrit d'exemple semblable.

Le lendemain matin, le capitaine du Swiftsure m'envoya prendre à bord par un canot, ainsi que le lieutenant de vaisseau Dupotet, mon second, et l'enseigne Ducrest; nous fûmes conduits à bord de ce vaisseau.

A midi, le Redoutable démâta de son mât de misaine, le seul qui lui restait; à 5 heures du soir l'eau continuant à gagner les pompes, le capitaine de prise demanda du secours et toutes les embarcations du Swiftsure furent mises à l'eau pour sauver le monde. Il ventait bon frais et la mer était grosse, ce qui rendait très difficile l'embarquement des blessés; ces malheureux voyant que le vaisseau allait être englouti, s'étaient presque tous traînés sur le gaillard d'arrière ; on parvint à en sauver quelques-uns.

A 7 heures du soir, la poupe s'étant entièrement écroulée, le Redoutable coula à fond avec la majeure partie de ces infortunés que leur courage avait rendus dignes d'un meilleur sort. Le lendemain au point du jour, le capitaine du Swiftsure ayant aperçu de loin plusieurs hommes sur des bômes les envoya chercher; ils étaient au nombre de 50, presque tous blessés.

169 hommes formant le reste du valeureux équipage du Redoutable se trouvèrent alors réunis à bord du vaisseau anglais ; sur cette quantité, 70 étaient grièvement blessés et 64 avaient de légères blessures. Tous ces blessés furent envoyés à Cadix sur un parlementaire, de manière que 35 hommes seulement furent conduits en Angleterre comme prisonniers de guerre.

Les résultats du combat du vaisseau le Redoutable sont : la perte de ce vaisseau et la destruction des trois quarts de son équipage; mais seul pendant toute l'action, il a occupé les vaisseaux à trois ponts le Victory et le Téméraire et a, de cette manière, attiré la surveillance, les combinaisons, les ordres d'agir suivant les circonstances, de l'amiral Nelson qui, lui-même engagé dans ce combat particulier, ne put que se livrer à l'excès de son courage. L'Angleterre a perdu le héros de sa marine, qui est tombé sous les coups des braves du Redoutable. Plus de 300 hommes, dont plusieurs officiers de marque, furent mis hors de combat à bord des vaisseaux ennemis. Le Victory a été démâté, dans l'action, de son mât d'artimon, de son mât de hune et de son grand mât de perroquet ; en général, toutes ses vergues ont été brisées ainsi que la barre de la roue du gouvernail. Le Téméraire a perdu ses deux basses-vergues, ses deux mâts de hune; son gouvernail et son étambot ont été hachés par les canons de notre 1e batterie; enfin les deux vaisseaux ont été renvoyés en Angleterre pour y changer toute leur mâture et y recevoir de fortes réparations.

Je joins à ce rapport un état de la situation de l'équipage du vaisseau le Redoutable avant et après le combat, état qui fera connaître les pertes d'hommes dans chaque classe; j'y joins aussi une liste nominative des officiers qui composaient l'état-major et des aspirants de ce vaisseau.

Les éloges que je dois à tous ces braves sont au-dessus de toute expression. Quiconque n'aura pas vu ces valeureux officiers et ces jeunes aspirants conduisant nos colonnes d'abordage à l'ennemi aura peine à se former une juste idée de leur bouillante ardeur et de leur intrépide audace; partout à la tête des braves de l'équipage que chacun commandait debout sur les bastingages, les uns armés de sabres et de pistolets, les autres de mousquetons, tous dirigeaient les feux de mousqueterie et le jet des grenades. Dans cette circonstance, les officiers de mer et de terre, les matelots et les soldats semblaient rivaliser de courage sans pouvoir se surpasser; aussi n'est-ce qu'en présentant la liste général de ces guerriers que je puis désigner les plus méritants.

Monseigneur,

J'ai l'honneur d'être de Votre Excellence le très humble et très obéissant serviteur.

Lucas,

Capitaine de vaisseau, commandant le Redoutable.

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Suivent les tableaux :

- de l'état-major du redoutable et pertes de la maistrance à la bataille de Trafalgar
- des officiers-mariniers tués
- des 85 matelots, 31 novices et 7 mousses tués.

 

Capitaine Lucas, commandant le Redoutable

Le Redoutable est  dévasté et les trois quarts de son équipage hors de combat. Seule une petite centaine d'hommes sont encore en état de combattre. Le commandant Lucas, doit amener ses couleurs et est embarqué à bord d’un navire anglais avec les survivants. Des 643 hommes qui  composaient l’équipage du Redoutable, 169 seulement tombèrent au pouvoir des Anglais. Et sur ce nombre, il n'y en eut que 35 qui furent conduits en Angleterre, les autres, tous blessés furent renvoyés à Cadix. Le navire est tellement endommagé qu’il va sombrer.

Le Victory compte 160 morts ou blessés et le Temeraire 120.     

 Le Formidable

 Admiral Dumanoir de Pelley,

Capitaine J. Letellier

Vaisseau de 2e rang de 80 canons, de la classe Tonnant, d'après un dessin de Jacques-Noël Sané, lancé à Toulon en 1795, 55.5 mètres de long, 14.3 mètres de large et 7.2 mètres de creux, 920 hommes d'équipage, 30 canons de 36 livres, 32 de 24, 18 de 12, et  6 caronades de 36 livres.

C'est le navire du Vice Amiral Pierre Dumanoir le Pelley, à l’avant-garde avec le Scipion, le Duguay-Trouin, le Mont-Blanc, l'Intrépide et le Neptuno. Dumanoir ne répond pas immédiatement aux ordres de Villeneuve de revenir au combat. Quand il fait enfin demi-tour, c’est pour se retirer après n’avoir échangé que quelques tirs avec l’ennemi.

  

Il est 2 h. 30 m. P.M. et l’avant-garde de la flotte franco-espagnol commence seulement à virer de bord, en réponse au signal fait par le commandant en chef vers 1 h. 50 m. P.M. qui dit : " la flotte française engagée  sous le vent ou au vent ordonne aux navires qui ne sont pas encore engagés, de se porter le plus rapidement possible à l’action. "

Aucun effort n’est apparemment fait alors pour répondre de façon rapide à ce signal, et ceux qui sont les plus promptes à obéir sont gênés par le calme plat.

►Le Formidable, et un ou deux des autres navires emploient leur canots pour se remorquer. Cette manœuvre est lente, et imparfaite. Quand enfin les dix navires se retrouvent armure tribord, cinq d’entre eux restent au large comme si ils rejoignaient l’Amiral Gravina dans le but de fuir.

 Les cinq navires qui virent au vent sont le Formidable, commandé par le contre-amiral Dumanoir, le Duguay-Trouin, le Mont-Blanc, le Scipion, et l'espagnol Neptuno. Ils vont longer le théâtre de la bataille en échangeant quelques bordées avec les vaisseaux ennemis, sans jamais chercher à participer activement au combat en s'attaquant aux navires britanniques dont certains par leur état n’offriraient que peu de résistance, ayant peu ou pas de voile pour manœuvrer sous le vent, et se trouvant presque sur le chemin de l’escadron de M. Dumanoir. Parmi ceux-ci le Victory, le Téméraire, et le Royal-Sovereign sont les plus exposés.

 

 

►Les tirs des navires de M. Dumanoir va tuer deux des lieutenants du Conqueror. Le Lieutenant William M. St.-George, troisième lieutenant sur ce navire, alors qu’il passe à coté du Lieutenant Robert Lloyd, qui lui est premier lieutenant, lui tape joyeusement sur l’épaule, et lui dit sa joie de le voir se rapprocher de son épaulette de commandant. Juste comme le Lieutenant St.-George, ayant monté une ou deux marches, se tourne, dans le geste de sourire à son ami, un boulet lui enlève la tête et jette le premier à terre sans vie.

►En passant devant le Victory, l’escadron de Dumanoir échange à courte distance une bordée peu efficace. Pendant ce temps le Formidable est arrivé en travers du Téméraire qui s’efforce de se dégager du Fougueux, maintenant sur son travers arrière. Une ou deux bordées sont échangées entre le Téméraire et les navires au vent et le tir de ces derniers coupent les grand mat et mat d’artimon du Fougueux, et tuent quelque uns de ses hommes. Un tir enlève la jambe d’un aspirant du Téméraire, envoyé à bord du Redoutable pour assister le Lieutenant Wallace, et qui meurt le soir même, après avoir été amputé par le chirurgien français.

►Vers 3 h. 10 P.M., ayant serré le vent armure bâbord, le Minotaur et le Spartiate échangent des bordées avec le Formidable, le Duguay-Trouin, le Mont-Blanc, le Scipion, et le Neptuno beaucoup plus en arrière.

Lorsqu'ils parviennent par le travers et de la Santissima Trinidad et du Bucentaure, ils les trouvent rendus; cette circonstance détermine le contre-amiral Dumanoir à passer outre. II se dirige donc, en se maintenant toujours au vent, du côté de l’arrière-garde franco-espagnole dont quelques vaisseaux combattent encore. Arrivé à la hauteur de cette arrière-garde, l'amiral Dumanoir jugeant sans doute qu'il ne peut plus rien pour le salut de la flotte  combinée, continue sa route au même bord, pour s'éloigner du champ de bataille.

Les pertes sont de 22 morts et de 45 blessé, et le vaisseau n'est que faiblement endommagé.

La nuit qui suit le combat de Trafalgar est employée par ses vaisseaux à réparer les avaries qu'ils ont reçues. Le lendemain, il fait route à l'ouest et ensuite au nord. Le 2 novembre, étant arrivé par la latitude du cap Finistère, ses vaisseaux sont observés par deux frégates anglaises  appartenant à l’escadre du commodore sir Richard Strachan, qui croisait dans ces parages pour. intercepter l'escadre de Rochefort, alors à le mer, sous les ordres du capitaine Allemand. Sir Richard Strachan est bientôt sur leurs traces. Le  clair de lune empêche le contre-amiral de tromper l'ennemi à l'aide  de quelques fausses routes ;  et le 3 au matin les deux escadres sont en vue et a une distance beaucoup plus rapprochée que la veille. Toute la journée se passe en chasse, et la nuit suivante le clair de lune favorise encore l'ennemi dans sa poursuite.

Au point du jour, le 4, l'ennemi, fort de quatre vaisseaux et quatre frégates, n'est plus qu'à trois portées de canon des vaisseaux français. L’amiral Dumanoir a rangé ses vaisseaux  en ligne d'échiquier ( ordre dans lequel ils présentent tous la poupe aux ennemis qui les chassent ). A huit heures deux frégates commencent à les harceler, en leur tirant quelques coups de leurs pièces de chasse. Bientôt, la supériorité de leur marche leur permet de venir en travers de temps en temps , et de tirer à chaque fois une ou deux bordées entières sur les vaisseaux français, qui ne peuvent riposter que de leurs canons de retraire. Cette manœuvre, dont le résultat est d'endommager et de dégréer les vaisseaux français, dure jusqu'à onze heures et demie. A cette  heure cependant, le contre-amiral Dumanoir se décide à former sa ligne de bataille. Pendant ce temps, une troisième frégate a rejoint les deux autres, et a été suivie de près par trois vaisseaux de ligne. Ces six bâtiments attaquent la ligne française de manière a envelopper les deux derniers vaisseaux. Afin de ne pas laisser écraser sa queue, l'amiral Dumanoir  fait virer son escadre vent devant par la contremarche (successivement). Ce mouvement fait essuyer au Duguay-Trouin tout le feu des trois vaisseaux ennemis, qu'il prolonge à contre-bord, et le place un instant dans la même position où s'est trouvé le Scipion , mais le capitaine Touffet, après avoir dépassé les vaisseaux de ligne ennemis auxquels il a vigoureusement riposté, force les trois frégates a s'écarter. Elles laissent arriver pour prendre poste sous le vent de la ligne française, qui a achevé son évolution. Les trois vaisseaux ennemis virent alors pour s'établir au même bord que l'escadre française. Le Namur et la Révolutionnaire rallient dans ce moment leur escadre: le premier prend poste dans la ligne des vaisseaux et l'autre  va se placer dans celle des frégates. De la sorte, il s'établit un ordre régulier, dans lequel chaque vaisseau français se trouve avoir, un vaisseau ennemi au vent et une frégate sous le vent. Obligés ainsi de combattre des deux bords, les vaisseaux français se défendent avec la plus grande opiniâtreté. L’action se prolonge pendant quatre heures et demie ; mais se termine par la reddition des vaisseaux français. Le Formidable se rend le premier, le Scipion cède presque en même temps, le Mont-Blanc et le Duguay-Trouin succombent un quart d'heure après. Ces vaisseaux étaient dans l'état le plus déplorable, presque entièrement démâtés, et avaient de huit a neuf pieds d'eau dans la cale. Le Formidable eut plus de  200 hommes hors de combat, le Scipion un pareil nombre, le Mont-Blanc 180, et le Duguay-Trouin 150. Les Anglais ne portèrent leurs pertes qu'à 135 hommes tués ou blessés.

 

Au cours de la bataille de Trafalgar, aucune frégate n'avait tiré. Dans ce combat, les quatre frégates britanniques, trois d'entre elles en particulier, ont contribué de façon importante à la victoire. Un officier de l'un des vaisseaux de ligne, le Namur semble t'il, dans une lettre publiée le même jour que la version officielle, estime que le virement de bord des navires français a donné aux frégates la possibilité de prendre part à l'action. Les Français observent de leur coté que chacun de leurs navires, quand l'escadron a viré bâbord amure, s'est retrouvé assailli par un vaisseau de ligne au vent et une frégate sous le vent, ce qui plaçait cette dernière dans une situation difficile à tenir, mais relativement sûre. Ce qu'ont réellement fait les frégates se résument ainsi: le Phoenix a permis la découverte de l'escadron ennemi alors hors de vue de l'escadre anglaise. Cette frégate ensuite accompagnée de la Santa-Margarita a vaillamment combattu, et considérablement gêné le navire français le plus en arrière, ce qui a permis à Sir Richard  de les rattraper plus rapidement.  Lorsque l'escadre française a viré, la Santa-Margarita a du s'écarter, car elle a reçu un tir dangereux dans la soute et plusieurs autres dans son flanc tribord; les réparations ont pris deux heures. Mais la Santa-Margarita a alors habilement été remplacée par la Révolutionnaire, qui, avec le Phénix, a donné le coup de grâce au Scipion.  L'Æolus a échangé des tirs à courte distance avec les navires français qui passaient au vent, et s'est montré elle-même utile dans la prise de possession du Mont-Blanc après sa reddition au Cesar.

 

Les quatre vaisseaux français ramenés à Plymouth seront commissionnés dans la Navy, le Formidable sous le nom de HMS Brave , le Duguay Trouin sous le nom de HMS Implacable, et le Scipion et le Mont Blanc en conservant leur nom. Le HMS Brave sera désarmé et démonté en 1816.

 

 HMS Royal Sovereign

 Amiral Cuthbert Collingwood

Capitaine Edward Rotherham  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vaisseau trois ponts de premier rang de 100 canons, 56 mètres de long, 16 mètres de large, 6.8 mètres de creux, 2175 tons de déplacement, équipage 875 hommes, construit à Plymouth et lancé en 1787. Armement : 28 canons de 32 livres, 28 canons de 24 livres, 54 canons de 12 livres.

 

 

 

Midi : Le  Royal Sovereign coupe la ligne allié.

 

► Avec sa coque tout juste nettoyée avant son arrivée à Cadix, le Royal Sovereign en tête de la ligne anglaise sous le vent est bien meilleur marcheur dans le petit vent du jour que les autres navires. Il est le premier au contact, au niveau du Santa Ana et du 74 français le Fougueux, qui ouvrent le feu et va recevoir à courte portée, outre leurs bordées, celles du 80 canons l’Indomptable, du  Pluton et des espagnols San Justo et San Leandro 

 Au moment ou le Royal-Sovereign va passer entre les deux navires ennemis, le Vice-amiral Collingwood crie à son capitaine: "Rotheram, que ne donnerait pas Nelson pour être ici ! " Et, par une singulière coïncidence, Lord Nelson, au moment où il a vu son ami dans cette position, s’est exclamé: " Voyez comme notre noble  compagnon Collingwood mène son navire à l’attaque." 

► Le Fougueux force l’allure pour fermer l’ouverture, mais il est trop tard, le Royal Sovereign s’engouffre dans la brèche, arrive sur le Santa Ana, et l'écrase d'une bordée d'enfilade de ses canons doublement chargés avec une telle précision que d’après les témoignages des officiers espagnols, il tue ou blesse plus de 400  hommes et met hors d’état 14 de leurs canons.

 

  Puis il l'engage vergue à vergue, et concentre sur lui le feu de ses trois batteries.Entre les deux trois-ponts, une vigoureuse canonnade se poursuit.

► Le Royal Sovereign est toujours exposé aux tirs de plusieurs adversaires. Le Fougueux, ayant viré, canonne son arrière. Sur l’avant du navire anglais, à environ 400 mètres, se tient le  San Leandro, cependant que sur son coté tribord, à moins de 300 mètres, se trouvent le  San Justo et l’Indomptable. Le feu de tous ces navires est si nourri que les hommes du Royal Sovereign voient certains boulets se télescoper. Enfin, d'autres navires anglais dont le Belleisle arrivent, et les quatre deux-ponts alliés s’éloignent, laissant le  Royal Sovereign face à face avec le Santa-Ana dont les canonniers vont se montrer bien moins efficaces que les anglais. En peu de temps, le trois ponts espagnol perd son mât d’artimon, et au bout d’une heure et quart, ses trois mâts étant passés par dessus bord, le Santa Ana va se rendre au Royal Sovereign. Il est 2h. 15m. P. M..

► Le Royal Sovereign a un lieutenant, son bosco, un lieutenant de Marines, deux aspirants, 29 marins et 13 Marines tués, deux lieutenants, un lieutenant d'infanterie de marine, un maitre d'équipage, quatre aspirants, son maître d'équipage, 69 marins et 16 Marines blessés. Il a perdu son mat de misaine et son mat principal, ainsi que la vergue de hune du mat de misaine.

► Quand il est informé de la blessure de Nelson, et réalisant qu'il lui faudrait sans doute prendre le commandement Collingwood fait signal à la frégate Euralyus de prendre le Royal Sovereign devenu peu manœuvrant en remorque. Le Royal Sovereign va continuer à échanger des tirs avec l'avant-garde de la flotte combinée sous le commandement de l'Amiral Dumanoir jusque vers 4 h. 30 P.M..

► A 4 h. 40 P.M. , quand il apprend la mort de Nelson, et voyant que la tempête se lève, Collingwood donne le signal à tous les vaisseaux de venir au vent bâbord amure et de prendre en remorque les navires désemparés ou capturés. Le Royal Sovereignn n'est plus manœuvrant; il est très endommagé et n'a pratiquement plus de mât lui permettant de faire des signaux. Collingwood  décide vers 6 h. de passer sa flamme sur l'Euralyus et de prendre une nouvelle fois le Royal Sovereign en toue. Le HMS Neptune va prendre la relève le 22 Octobre, et être remplacé par le HMS Mars le 23 Octobre.

Le Royal Sovereign retournera  en Méditerranée l’année suivante pour servir et assurer le blocus de Toulon jusqu’en 1812, où il est transféré à la flotte de la Manche. En avril 1814 Louis XVIII embarque à son bord à Douvres pour Calais. Après son désarmement, il est utilisé comme navire de service dans le port de Plymouth, avant d’être renommé HMS Captain en août 1825. Devenu ponton il est finalement détruit en 1841.